• ETE 17

     

    ETE 17


    Daphné

    À Éva Callimaki-Catargi

    Lorsque le dieu du jour, plein d’amoureuse audace,
    Dédaignant tout à coup l’Olympe et ses plaisirs,
    Sans char, la lyre en main, s’élançait sur la trace
    De la nymphe de ses désirs,

    Celle-ci, jusqu’au bout insensible et rétive,
    Le laissa s’égarer en des sentiers ingrats ;
    Puis, quand il la saisit, la jeune fugitive
    Se change en laurier dans ses bras.

    Un sort pareil attend ici-bas le génie :
    En l’Idéal qui fuit l’artiste a mis sa foi.
    Heureux qui voit de loin, dans l’arène infinie,
    Courir son rêve devant soi !

    Car il faut, d’un élan qu’aucun refus n’arrête,
    Poursuivre aussi Daphné, quand ce serait en vain,
    Pour sentir à son tour s’agiter sur sa tête
    Les rameaux du laurier divin.

    Louise Ackermann, Premières Poésies, 1871

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  • ETE 15

    ETE 15

    Aux femmes

    S’il arrivait un jour, en quelque lieu sur terre,
    Qu’une entre vous vraiment comprît sa tâche austère,
    Si, dans le sentier rude avançant lentement,
    Cette âme s’arrêtait à quelque dévouement,
    Si c’était la Bonté sous les cieux descendue,
    Vers tous les malheureux la main toujours tendue,
    Si l’époux, si l’enfant à ce cœur ont puisé,
    Si l’espoir de plusieurs sur Elle est déposé,
    Femmes, enviez-la. Tandis que dans la foule
    Votre vie inutile en vains plaisirs s’écoule,
    Et que votre cœur flotte, au hasard entraîné,
    Elle a sa foi, son but et son labeur donné.
    Enviez-la. Qu’il souffre ou combatte, c’est Elle
    Que l’homme à son secours incessamment appelle,
    Sa joie et son appui, son trésor sous les cieux,
    Qu’il pressentait de l’âme et qu’il cherchait des yeux,
    La colombe au cou blanc qu’un vent du ciel ramène
    Vers cette arche en danger de la famille humaine,
    Qui, des saintes hauteurs en ce morne séjour,
    Pour branche d’olivier a rapporté l’amour.

    Et que votre cœur flotte, au hasard entraîné,
    Elle a sa foi, son but et son labeur donné.
    Enviez-la ! Qu’il souffre ou combatte, c’est Elle
    Que l’homme à son secours incessamment appelle,
    Sa joie et son espoir, son rayon sous les cieux,
    Qu’il pressentait de l’âme et qu’il cherchait des yeux,
    La colombe au cou blanc qu’un vent du ciel ramène
    Vers cette arche en danger de la famille humaine,
    Qui, des saintes hauteurs en ce morne séjour,
    Pour branche d’olivier a rapporté l’amour.

    Paris, 1835

    Louise Ackermann, Premières poésies, 1871

     

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  • ETE 16

     

    ETE 16

    ETE 16

    Adieu à la Madeleine

    Adieu Madeleine Chérie,
    Qui te réfléchis dans les eaux,
    Comme une fleur de la prairie
    Se mire au cristal du ruisseau.
    Ta colline, où j’ai vu paraître
    Un beau jour qui s’est éclipsé,
    J’ai rêvé que j’en étais maître ;
    Adieu ! Ce doux rêve est passé.

    Assis sur la rive opposée,
    Je te vois, lorsque le soleil
    Sur tes gazons boit la rosée,
    Sourire encore à ton réveil,
    Et d’un brouillard pâle entourée
    Quand le jour meurt avec le bruit,
    Blanchir comme une ombre adorée
    Qui nous apparaît dans la nuit.

    Doux trésors de ma moisson mûre,
    De vos épis un autre est roi ;
    Tilleuls dont j’aimais le murmure,
    Vous n’aurez plus d’ombre pour moi.
    Ton coq peut tourner à sa guise,
    Clocher, que je fuis sans retour :
    Ce n’est plus à moi que la brise
    Lui dit d’annoncer un beau jour.

    Cette fenêtre était la tienne,
    Hirondelle, qui vint loger
    Bien des printemps dans ma persienne,
    Où je n’osais te déranger ;
    Dés que la feuille était fanée,
    Tu partais la première, et moi,
    Avant toi je pars cette année ;
    Mais reviendrais-je comme toi ?

    Qu’ils soient l’amour d’un autre maître,
    Ces pêchers dont j’ouvris les bras !
    Leurs fruits verts, je les ai vu naître ;
    Rougir je ne les verrai pas.
    J’ai vu des bosquets que je quitte
    Sous l’été les roses mourir ;
    J’y vois planter la marguerite :
    Je ne l’y verrai pas fleurir.

    Ainsi tout passe, et l’on délaisse
    Les lieux où l’on s’est répété :
    « Ici luira sur ma vieillesse
    L’azur de son dernier été. »
    Heureux, quand on les abandonne,
    Si l’on part en se comptant tous,
    Si l’on part sans laisser personne
    Sous l’herbe qui n’est plus à vous.

    Adieu, prairie où sur la brune,
    Lorsque tout dort, jusqu’aux roseaux,
    J’entendais rire au clair de lune
    Les lutins des bois et des eaux,
    Qui, sous ces clartés taciturnes,
    Du trône disputant l’honneur,
    Se livraient des assauts nocturnes
    Autour des meules du faneur.

    Adieu, mystérieux ombrages,
    Sombre fraîcheur, calme inspirant ;
    Mère de Dieu, de qui l’image
    Consacre ce vieux tronc mourant,
    Où, quand son heure est arrivée,
    Le passereau loin des larcins
    Vient cacher sa jeune couvée
    Dans les plis de tes voiles saints.

    Adieu, chapelle qui protège
    Le pauvre contre ses douleurs ;
    Avenue où, foulant la neige
    De mes acacias en fleurs,
    Lorsque le vent l’avait semée
    Du haut de ses rameaux tremblants,
    Je suivais quelque trace aimée,
    Empreinte sur ses flocons blancs.

    Adieu, flots, dont le cours tranquille,
    Couvert de berceaux verdoyants,
    A ma nacelle, d’île en île,
    Ouvrait mille sentiers fuyants,
    Quand rêveuse, elle allait sans guide
    Me perdre en suivant vos détours
    Dans l’ombre d’un dédale humide
    Ou je me retrouvais toujours.

    Adieu, chers témoins de ma peine,
    Forêt, jardin, flots que j’aimais !
    Adieu, ma fraîche Madeleine !
    Madeleine, adieu pour jamais !
    Je pars, il le faut, et je cède ;
    Mais le cœur me saigne en partant,
    Qu’un plus riche qui te possède
    Soit heureux où nous l’étions tant !

    Casimir Delavigne


     

     

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