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Par sylvie erwan le 23 Mars 2012 à 17:35
Vision
Je vis d'abord sur moi des fantômes étranges
Traîner de longs habits ;
Je ne sais si c'étaient des femmes ou des anges !
Leurs manteaux m'inondaient avec leurs belles franges
De nacre et de rubis.
Comme on brise une armure au tranchant d'une lame,
Comme un hardi marin
Brise le golfe bleu qui se fend sous sa rame,
Ainsi leurs robes d'or, en grands sillons de flamme,
Brisaient la nuit d'airain !
Ils volaient ! - Mon rideau, vieux spectre en sentinelle,
Les regardait passer.
Dans leurs yeux de velours éclatait leur prunelle ;
J'entendais chuchoter les plumes de leur aile,
Qui venaient me froisser.
Ils volaient ! - Mais la troupe, aux lambris suspendue,
Esprits capricieux,
Bondissait tout à coup, puis, tout à coup perdue,
S'enfuyait dans la nuit, comme une flèche ardue
Qui s'enfuit dans les cieux !
Ils volaient ! - Je voyais leur noire chevelure,
Où l'ébène en ruisseaux
Pleurait, me caresser de sa longue frôlure ;
Pendant que d'un baiser je sentais la brûlure
Jusqu'au fond de mes os.
Dieu tout-puissant ! j'ai vu les sylphides craintives
Qui meurent au soleil !
J'ai vu les beaux pieds nus des nymphes fugitives !
J'ai vu les seins ardents des dryades rétives,
Aux cuisses de vermeil !
Rien, non, rien ne valait ce baiser d'ambroisie,
Plus frais que le matin !
Plus pur que le regard d'un oeil d'Andalousie !
Plus doux que le parler d'une femme d'Asie,
Aux lèvres de satin !
Oh ! qui que vous soyez, sur ma tête abaissées,
Ombres aux corps flottants !
Laissez, oh ! laissez-moi vous tenir enlacées,
Boire dans vos baisers des amours insensées,
Goutte à goutte et longtemps !
Oh ! venez ! nous mettrons dans l'alcôve soyeuse
Une lampe d'argent.
Venez ! la nuit est triste et la lampe joyeuse !
Blonde ou noire, venez ; nonchalante ou rieuse,
Coeur naïf ou changeant !
Venez ! nous verserons des roses dans ma couche ;
Car les parfums sont doux !
Et la sultane, au soir, se parfume la bouche ;
Lorsqu'elle va quitter sa robe et sa babouche
Pour son lit de bambous !
Hélas ! de belles nuits le ciel nous est avare
Autant que de beaux jours !
Entendez-vous gémir la harpe de Ferrare,
Et sous des doigts divins palpiter la guitare ?
Venez, ô mes amours !
Mais rien ne reste plus que l'ombre froide et nue,
Où craquent les cloisons.
J'entends des chants hurler, comme un enfant qu'on tue ;
Et la lune en croissant découpe, dans la rue,
Les angles des maisons.
Alfred de MUSSET (1810-1857)
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Par sylvie erwan le 23 Mars 2012 à 17:33
Deux hommes, tous les deux gravement malades, occupaient la même
chambre d'hôpital.
L'un d'eux devait s'asseoir dans son lit pendant une heure chaque
après-midi afin d'évacuer les sécrétions de ses poumons, son lit
était à coté de la seule fenêtre de la chambre.
L'autre devait passer ses journées couché sur le dos. Les deux
compagnons d'infortune se parlaient pendant des heures. Ils
parlaient de leurs épouses et de leurs familles, décrivaient leur
maison, leur travail, leur participation dans le service militaire
et les endroits ou ils avaient été en vacances.
Et chaque après-midi, quand l'homme dans le lit près de la fenêtre
pouvait s'asseoir, il passait le temps à décrire à son compagnon de
chambre tout ce qu'il voyait dehors.
L'homme dans l'autre lit commença à vivre pendant ces périodes
d'une heure où son monde était élargi et égayé par toutes les
activités et les couleurs du monde extérieur.
De la chambre, la vue donnait sur un parc avec un beau lac, les
canards et les cygnes jouaient sur l'eau tandis que les enfants
faisaient voguer leurs bateaux en modèles réduits. Les amoureux
marchaient bras dessus, bras dessous, parmi des fleurs aux couleurs
de l'arc-en-ciel, de grands arbres décoraient le paysage et on
pouvait apercevoir au loin la ville se dessiner.
Pendant que l'homme près de la fenêtre décrivait tous ces détails,
l'homme de l'autre coté de la chambre fermait les yeux et imaginait
la scène pittoresque.
Lors d'un bel après-midi, l'homme près de la fenêtre décrivit une
parade qui passait par-là. Bien que l'autre homme n'ait pu entendre
l'orchestre, il pouvait le voir avec les yeux de son imagination,
tellement son compagnon le dépeignait de façon vivante.
Les jours et les semaines passèrent.
Un matin, à l'heure du bain, l'infirmière trouva le corps sans vie
de l'homme près de la fenêtre, mort paisiblement dans son sommeil.
Attristée, elle appela les préposés pour qu'ils viennent prendre le
corps.
Dès qu'il sentit que le moment était approprié, l'autre homme
demanda s'il pouvait être déplacé à coté de la fenêtre.
L'infirmière, heureuse de lui accorder cette petite faveur,
s'assura de son confort, puis elle le laissa seul.
Lentement, péniblement, le malade se souleva un peu, en s'appuyant
sur un coude pour jeter son premier coup d'oeil dehors.
Enfin, il aurait la joie de voir par lui-même ce que son ami lui
avait décrit. Il s'étira pour se tourner lentement vers la fenêtre
près du lit.
Or, tout ce qu'il vit, fut un mur !
L'homme demanda à l'infirmière pourquoi son compagnon de chambre
décédé lui avait dépeint une toute autre réalité.
L'infirmière répondit que l'homme était aveugle et ne pouvait même
pas voir le mur.
Peut-être a-t-il seulement voulu vous encourager, commenta-t-elle.
Épilogue :
Il y a un bonheur extraordinaire à rendre d'autres heureux, en
dépit de nos propres épreuves.
La peine partagée réduit de moitié la douleur, mais le bonheur, une
fois partagé, s'en trouve doublé.
Si vous voulez vous sentir riche, vous n'avez qu'à compter, parmi
toutes les choses que vous possédez, celles que l'argent ne peut
acheter.
Aujourd'hui est un cadeau, c'est pourquoi on l'appelle présent.
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Par sylvie erwan le 23 Mars 2012 à 11:56
ÊTRE FIDÈLE
Être fidèle à ceux qui sont morts, ce n'est pas
S'enfermer dans la douleur.
Il faut continuer de creuser son sillon
Droit et profond.
Comme ils l'auraient fait eux-mêmes,
Comme on l'aurait fait avec eux, pour eux.
Etre fidèle à ceux qui sont morts,
C'est vivre comme ils auraient vécu.
Et les faire vivre avec nous.
Et transmettre leur visage, leur voix, leur message aux autres.
A un fils, à un frère ou à des inconnus,
Aux autres, quels qu'ils soient.
Et la vie tronquée des disparus,
Alors, germera sans fin.
Martin GRAY Le Livre de la Vie
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