• Stances à Marquise


    Marquise, si mon visage
    A quelques traits un peu vieux
    Souvenez-vous qu’à mon âge
    Vous ne vaudrez guère mieux.

    Le temps aux plus belles choses
    Se plaît à faire un affront
    Et saura faner vos roses
    Comme il a ridé mon front.

    Le même cours des planètes
    Règle nos jours et nos nuits :
    On m’a vu ce que vous êtes ;
    Mlle Du Parc
    Vous serez ce que je suis.

    Cependant j’ai quelques charmes
    Qui sont assez éclatants
    Pour n’avoir pas trop d’alarmes
    De ces ravages du temps.

    Vous en avez qu’on adore ;
    Mais ceux que vous méprisez
    Pourraient bien durer encore
    Quand ceux-là seront usés.

    Ils pourront sauver la gloire
    Des yeux qui me semblent doux,
    Et dans mille ans faire croire
    Ce qui me plaira de vous.

    Chez cette race nouvelle
    Où j’aurai quelque crédit
    Vous ne passerez pour belle
    Qu’autant que je l’aurai dit.

    Pensez-y belle Marquise :
    Quoi qu’un grison fasse effroi,
    Il vaut bien qu’on le courtise
    Quand il est fait comme moi.

    Pierre Corneille

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  • Le paresseux

    Accablé de paresse et de mélancolie,
    Je rêve dans un lit où je suis fagoté,
    Comme un lièvre sans os qui dort dans un pâté,
    Ou comme un Don Quichotte en sa morne folie.

    Là, sans me soucier des guerres d'Italie,
    Du comte Palatin, ni de sa royauté,
    Je consacre un bel hymne à cette oisiveté
    Où mon âme en langueur est comme ensevelie.

    Je trouve ce plaisir si doux et si charmant,
    Que je crois que les biens me viendront en dormant,
    Puisque je vois déjà s'en enfler ma bedaine,

    Et hais tant le travail, que, les yeux entrouverts,
    Une main hors des draps, cher Baudoin, à peine
    Ai-je pu me résoudre à t'écrire ces vers.

    Marc-Antoine Girard de SAINT-AMANT   (1594-1661)

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  • La solitude

    Dans ce val solitaire et sombre
    Le cerf qui brame au bruit de l'eau,
    Penchant ses yeux dans un ruisseau,
    S'amuse à regarder son ombre.

    De cette source une Naïade
    Tous les soirs ouvre le portail
    De sa demeure de cristal
    Et nous chante une sérénade.

    Les Nymphes que la chasse attire
    À l'ombrage de ces forêts
    Cherchent des cabinets secrets
    Loin de l'embûche du Satyre.

    Jadis au pied de ce grand chêne,
    Presque aussi vieux que le Soleil,
    Bacchus, l'Amour et le Sommeil
    Firent la fosse de Silène.

    Un froid et ténébreux silence
    Dort à l'ombre de ces ormeaux,
    Et les vents battent les rameaux
    D'une amoureuse violence.

    L'esprit plus retenu s'engage
    Au plaisir de ce doux séjour,
    Où Philomèle nuit et jour
    Renouvelle un piteux langage.

    L'orfraie et le hibou s'y perchent,
    Ici vivent les loups-garous ;
    Jamais la justice en courroux
    Ici de criminels ne cherche.

    Ici l'amour fait ses études,
    Vénus dresse des autels,
    Et les visites des mortels
    Ne troublent point ces solitudes.

    Cette forêt n'est point profane,
    Ce ne fut point sans la fâcher
    Qu'Amour y vint jadis cacher
    Le berger qu'enseignait Diane.

    Amour pouvait par innocence,
    Comme enfant, tendre ici des rets ;
    Et comme reine des forêts,
    Diane avait cette licence.

    Cupidon, d'une douce flamme
    Ouvrant la nuit de ce vallon,
    Mit devant les yeux d'Apollon
    Le garçon qu'il avait dans l'âme.

    À l'ombrage de ce bois sombre
    Hyacinthe se retira,
    Et depuis le Soleil jura
    Qu'il serait ennemi de l'ombre.

    Tout auprès le jaloux Borée
    Pressé d'un amoureux tourment,
    Fut la mort de ce jeune amant
    Encore par lui soupirée.

    Sainte forêt, ma confidente,
    Je jure par le Dieu du jour
    Que je n'aurai jamais amour
    Qui ne te soit toute évidente.

    Mon Ange ira par cet ombrage ;
    Le Soleil, le voyant venir,
    Ressentira du souvenir
    L'accès de sa première rage.

    Corine, je te prie, approche ;
    Couchons-nous sur ce tapis vert
    Et pour être mieux à couvert
    Entrons au creux de cette roche.

    Ouvre tes yeux, je te supplie :
    Mille amours logent là-dedans,
    Et de leurs petits traits ardents
    Ta prunelle est toute remplie.

    Amour de tes regards soupire,
    Et, ton esclave devenu,
    Se voit lui-même retenu,
    Dans les liens de son empire.

    Ô beauté sans doute immortelle
    Où les Dieux trouvent des appas !
    Par vos yeux je ne croyais pas
    Que vous fussiez du tout si belle.

    Qui voudrait faire une peinture
    Qui peut ses traits représenter,
    Il faudrait bien mieux inventer
    Que ne fera jamais nature.

    Tout un siècle les destinées
    Travaillèrent après ses yeux,
    Et je crois que pour faire mieux
    Le temps n'a point assez d'années.

    D'une fierté pleine d'amorce,
    Ce beau visage a des regards
    Qui jettent des feux et des dards
    Dont les Dieux aimeraient la force.

    Que ton teint est de bonne grâce !
    Qu'il est blanc, et qu'il est vermeil !
    Il est plus net que le Soleil,
    Et plus uni que de la glace,

    Mon Dieu ! que tes cheveux me plaisent !
    Ils s'ébattent dessus ton front
    Et les voyant beaux comme ils sont
    Je suis jaloux quand ils te baisent.

    Belle bouche d'ambre et de rose
    Ton entretien est déplaisant
    Si tu ne dis, en me baisant,
    Qu'aimer est une belle chose.

    D'un air plein d'amoureuse flamme,
    Aux accents de ta douce voix
    Je vois les fleuves et les bois
    S'embraser comme a fait mon âme.

    Si tu mouilles tes doigts d'ivoire
    Dans le cristal de ce ruisseau,
    Le Dieu qui loge dans cette eau
    Aimera, S'il en ose boire.

    Présente-lui ta face nue,
    Tes yeux avecques l'eau riront,
    Et dans ce miroir écriront
    Que Vénus est ici venue.

    Si bien elle y sera dépeinte
    Que les Faunes s'enflammeront,
    Et de tes yeux, qu'ils aimeront,
    Ne sauront découvrir la feinte.

    Entends ce Dieu qui te convie
    A passer dans son élément ;
    Ouïs qu'il soupire bellement
    Sa liberté déjà ravie.

    Trouble-lui cette fantasie
    Détourne-toi de ce miroir,
    Tu le mettras au désespoir
    Et m'ôteras la jalousie.

    Vois-tu ce tronc et cette pierre !
    Je crois qu'ils prennent garde à nous,
    Et mon amour devient jaloux
    De ce myrthe et de ce lierre.

    Sus, ma Corine ! que je cueille
    Tes baisers du matin au soir
    Vois, comment, pour nous faire asseoir,
    Ce myrthe a laissé choir sa feuille !

    Ouïs le pinson et la linotte,
    Sur la branche de ce rosier ;
    Vois branler leur petit gosier
    Ouïs comme ils ont changé de note !

    Approche, approche, ma Driade !
    Ici murmureront les eaux ;
    Ici les amoureux oiseaux
    Chanteront une sérénade.

    Prête moi ton sein pour y boire
    Des odeurs qui m'embaumeront ;
    Ainsi mes sens se pâmeront
    Dans les lacs de tes bras d'ivoire.

    Je baignerai mes mains folâtres
    Dans les ondes de tes cheveux
    Et ta beauté prendra les voeux
    De mes oeillades idolâtres.

    Ne crains rien, Cupidon nous garde.
    Mon petit Ange, es-tu pas mien !
    Ha ! je vois que tu m'aimes bien
    Tu rougis quand je te regarde.

    Dieux ! que cette façon timide
    Est puissante sur mes esprits !
    Regnauld ne fut pas mieux épris
    Par les charmes de son Armide.

    Ma Corine, que je t'embrasse !
    Personne ne nous voit qu'Amour ;
    Vois que même les yeux du jour
    Ne trouvent point ici de place.

    Les vents, qui ne se peuvent taire,
    Ne peuvent écouter aussi,
    Et ce que nous ferons ici
    Leur est un inconnu mystère.

    Théophile de VIAU   (1590-1626)

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