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    PAQUE 2

     

    PAQUE 2

    LA Chenille
    Elle sort d'une touffe d'herbe qui l'avait cachée pendant la chaleur. Elle traverse l'allée de sable à grandes ondulations. Elle se garde d'y faire halte et un moment elle se croit perdue dans une trace de sabot du jardinier.

    Arrivée aux fraises, elle se repose, lève le nez de droite et de gauche pour flairer ; puis elle repart et sous les feuilles, sur les feuilles, elle sait maintenant où elle va.

    Quelle belle chenille, grasse, velue, fourrée, brune avec des points d'or et ses yeux noirs !

    Guidée par l'odorat ; elle se trémousse et se fronce comme un épais sourcil.

    Elle s'arrête au bas d'un rosier. De ses fines agrafes, elle tâte l'écorce rude, balance sa petite tête de chien nouveau-né et se décide à grimper.

    Et, cette fois, vous diriez qu'elle avale péniblement chaque longueur de chemin par déglutition.

    Tout en haut du rosier, s'épanouit une rose au teint de candide fillette. Ses parfums qu'elle prodigue la grisent. Elle ne se défie de personne. Elle laisse monter par sa tige la première chenille venue. Elle l'accueille comme un cadeau.

    Et, pressentant qu'il fera froid cette nuit, elle est bien aise de se mettre un boa autour du cou.

     

    Jules Renard
    Histoires naturelles 1896

      

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    PAQUE 1 FAIT

     

     

    PAQUE 1 FAIT

      LA Poule

    Pattes jointes, elle saute du poulailler, dès qu'on lui ouvre la porte.
    C'est une poule commune, modestement parée et qui ne pond jamais d'oeufs d'or.
    Éblouie de lumière, elle fait quelques pas, indécise, dans la cour.
    Elle voit d'abord le tas de cendres où, chaque matin, elle a coutume de s'ébattre.
    Elle s'y roule, s'y trempe, et, d'une vive agitation d'ailes, les plumes gonflées, elle secoue ses puces de la nuit.
    Puis elle va boire au plat creux que la dernière averse a rempli. .
    Elle ne boit que de l'eau.
    Elle boit par petits coups et dresse le col, en équilibre sur le bord du plat.
    Ensuite elle cherche sa nourriture éparse.
    Les fines herbes sont à elle, et les insectes et les graines perdues.
    Elle pique, elle pique, infatigable.
    De temps en temps, elle s'arrête.
    Droite sous son bonnet phrygien, l'oeil vif, le jabot avantageux, elle écoute de l'une et de l'autre oreille.
    Et, sûre qu'il n'y a rien de neuf, elle se remet en quête.
    Elle lève haut ses pattes raides, comme ceux qui ont la goutte. Elle écarte les doigts et les pose avec précaution, sans bruit.
    On dirait qu'elle marche pieds nus.

    Jules Renard
    Histoires naturelles 1896


     

     

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    La Croix de Bois

    O Croix de bois, qui mets ton signe douloureux
    Sur les prés, sur les champs et sur les chemins creux,
    Toi qui pouvais là-bas te dresser grave et haute,
    Quel caprice pieux t'a plantée à mi-côte ?
    Quel hasard ? - Le charmant hasard d'un carrefour.
    Voici les chemins creux : l'un s'en va d'Echauffour
    Jusqu'à Planches, qui fut une ville romaine ;
    L'autre des champs aux bois se tord et se promène
    Très poétiquement. Ils n'ont pas deux endroits
    Pour se rejoindre ; ils vont, viennent, font une croix
    Devant la Croix de bois, puis s'enfuient par les haies,
    Où les épines et les houx mêlent leurs haies,
    Car l'automne brumeux expire à l'horizon.

    Dans le vent pluvieux non loin de ma maison,
    L'arbre s'agite et pleure, et la sombre vallée
    Est la sœur de mon âme obscure et désolée.
    Car les plaintes du vent, ce sont des cris humains.
    Car les pleurs des buissons qui bordent les chemins
    Avec mes larmes ont mouillé, mouillé la terre
    Et j'ai porté ma croix sous la Croix solitaire.

    Seul, ayant comme un poids de brume à mon manteau,
    Ce matin le poète a franchi le coteau.
    Pas une voix dans l'air, pas un son dans les branches.
    L'Angélus d'Echauffour et l'Angélus de Planches,
    Qui s'unissent parfois en un chant fraternel,
    Étouffés et lointains, se perdaient dans le ciel.
    Les chemins, les maisons, les clochers, les églises
    Et tous les arbres se voilaient de vapeurs grises.
    Gavés des fruits sanglants de l'épine et du houx,
    Les oiseaux regardaient le poète à genoux.
    Ils voyaient dans la brume une croix ébauchée,
    Puis un être, immobile et la tête penchée.
    De l'homme au bois sacré quand les bras s'appuyaient,
    Quand il joignait les mains, les oiseaux s'enfuyaient
    Par les chemins, sur le coteau, dans la ravine,
    Et l'homme, resté seul sous votre Croix divine,
    O Christ, l'homme ulcéré, le pécheur, le passant,
    Baignait son cœur malade aux flots de votre sang.

    Paul Harel (1854-1927)


     

     

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