• KIT PRINTEMPS 11

     KIT PRINTEMPS 11


    Les Oiseaux

    Enfants des airs, heureux oiseaux, lyres ailées,
    Qui passez si légers, si libres dans les champs ;
    Hôtes harmonieux des monts et des vallées,
    Qui dépensez vos jours dans la joie et les chants ;

    Poètes qui chantez en tous lieux, à toute heure,
    Ignorant les soucis dont l’homme est agité ;
    Qui, le soir, dans les bois trouvez une demeure,
    Et dans l’air, le matin, trouvez la liberté ;

    Rivaux heureux, rivaux aux chansons éternelles,
    Que je vous porte envie en vous suivant des yeux !
    Quand la terre a blessé vos pieds, ouvrant les ailes,
    Vous pouvez fuir du moins et monter vers les cieux.

    Vous prodiguant les biens dont la nature est pleine,
    Le sort vous livre tout sans lutte et sans combats ;
    Sans suspendre vos chants vous trouvez dans la plaine
    L’eau claire et l’épi mûr que nous n’y trouvons pas.

    Le ciel qui vous sourit est pour nous bien austère ;
    Il a courbé nos jours sous un bien lourd fardeau :
    Pour rafraîchir les fronts que la pensée altère,
    Les rameaux n’ont point d’ombre et les fleurs n’ont point d’eau.

    Chanteurs favorisés, ô voix pleines de charmes !
    Oui ! la terre vous aime, oui ! le sort vous est doux.
    Bénissez donc le ciel, oiseaux, gosiers sans larmes !
    Bénissez-le pour vous et priez-le pour nous !

    Priez Dieu qu’il nous fasse, après les jours contraires,
    Et des cieux plus cléments et des soleils meilleurs ;
    Priez Dieu pour qu’il donne aux poètes, vos frères,
    Un épi dans la plaine et de l’eau dans les fleurs.

    De l’oiseau vous avez, ami, la voix et l’aile ;
    Comme lui vous fuyez la terre pour le ciel.
    A l’idéal en vous le poète est fidèle :
    Vous aimez, vous chantez, cœur d’or, esprit sans fiel.

    Auguste Lacaussade, Poèmes et Paysages, 1897

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  • KIT HIVER 1

    KIT HIVER 1

    La maison de ma mère

    Maison de la naissance, ô nid, doux coin du monde !
    Ô premier univers où nos pas ont tourné !
    Chambre ou ciel, dont le coeur garde la mappemonde,
    Au fond du temps je vois ton seuil abandonné.
    Je m’en irais aveugle et sans guide à ta porte,
    Toucher le berceau nu qui daigna me nourrir.
    Si je deviens âgée et faible, qu’on m’y porte !
    Je n’y pus vivre enfant, j’y voudrais bien mourir,
    Marcher dans notre cour où croissait un peu d’herbe,
    Où l’oiseau de nos toits descendait boire et puis,
    Pour coucher ses enfants, becquetait l’humble gerbe,
    Entre les cailloux bleus que mouillait le grand puits !

    De sa fraîcheur lointaine il lave encor mon âme,
    Du présent qui me brûle il étanche la flamme,
    Ce puits large et dormeur au cristal enfermé
    Où ma mère baignait son enfant bien-aimé.
    Lorsqu’elle berçait l’air avec sa voix rêveuse,
    Qu’elle était calme et blanche et paisible le soir,
    Désaltérant le pauvre assis, comme on croit voir
    Aux ruisseaux de la bible une fraîche laveuse !
    Elle avait des accents d’harmonieux amour
    Que je buvais du coeur en jouant dans la cour.
    Ciel ! Où prend donc sa voix une mère qui chante
    Pour aider le sommeil à descendre au berceau ?

    Dieu mit-il plus de grâce au souffle d’un ruisseau ?
    Est-ce l’éden rouvert à son hymne touchante,
    Laissant sur l’oreiller de l’enfant qui s’endort,
    Poindre tous les soleils qui lui cachent la mort ?
    Et l’enfant assoupi, sous cette âme voilée,
    Reconnaît-il les bruits d’une vie écoulée ?
    Est-ce un cantique appris à son départ du ciel,
    Où l’adieu d’un jeune ange épancha quelque miel ?
    Merci, mon Dieu ! Merci de cette hymne profonde,
    Pleurante encore en moi dans les rires du monde,
    Alors que je m’assieds à quelque coin rêveur
    Pour entendre ma mère en écoutant mon coeur :

    Ce lointain au revoir de son âme à mon âme
    Soutient en la grondant ma faiblesse de femme ;
    Comme au jonc qui se penche une brise en son cours
    A dit :  » Ne tombe pas ! J’arrive à ton secours. «
    Elle a fait mes genoux souples à la prière.
    J’appris d’elle, seigneur, d’où vient votre lumière,
    Quand j’amusais mes yeux à voir briller ses yeux,
    Qui ne quittaient mon front que pour parler aux cieux.
    A l’heure du travail qui coulait pleine et pure,
    Je croyais que ses mains régissaient la nature,
    Instruite par le Christ, à sa voix incliné,
    Qu’elle écoutait priante et le front prosterné.

    Vraiment, je le croyais ! Et d’une foi si tendre
    Que le Christ au lambris me paraissait l’entendre :
    Je voyais bien que, femme, elle pliait à Dieu,
    Mais ma mère, après lui, l’enseignait en tout lieu.
    L’ardent soleil de juin qui riait dans la chambre,
    L’âtre dont les clartés illuminaient décembre,
    Les fruits, les blés en fleur, ma fraîche nuit, mon jour,
    Ma mère créait tout du fond de son séjour.
    C’était ma mère ! ô mère ! ô Christ ! ô crainte ! ô charmes !
    Laissez tremper mon coeur dans vos suaves larmes ;
    Laissez ces songes d’or éclairer les vieux murs
    Des pauvres innocents nés dans les coins obscurs ;

    Laissez, puisqu’ici-bas nous nous perdons sans elles,
    Des mères aux enfants comme aux oiseaux des ailes.
    Quand la mienne avait dit :  » Vous êtes mon enfant ! «
    Le ciel, c’était mon coeur à jour et triomphant ! …
    Elle se défendait de me faire savante :
     » Apprendre, c’est vieillir, disait-elle, et l’enfant
    Se nourrira trop tôt du fruit que Dieu défend,
    Fruit fiévreux à la sève aride et décevante.
    L’enfant sait tout qui dit à son ange gardien :
    –  » Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien ! «
    C’est assez demander à cette vie amère,
    Assez de savoir suivre et regarder sa mère,

    Et nous aurons appris pour un long avenir
    Si nous savons prier, nous soumettre et bénir ! «
    Et je ne savais rien à dix ans qu’être heureuse,
    Rien que jeter au ciel ma voix d’oiseau, mes fleurs ;
    Rien, durant ma croissance aigüe et douloureuse,
    Que plonger dans ses bras mon sommeil ou mes pleurs.
    Je n’avais rien appris, rien lu que ma prière.
    Quand mon sein se gonfla de chants mystérieux,
    J’écoutais notre-dame et j’épelais les cieux,
    Et la vague harmonie inondait ma paupière ;
    Les mots seuls y manquaient, mais je croyais qu’un jour
    On m’entendrait aimer pour me répondre : amour !

    Les psaumes de l’oiseau caché dans le feuillage,
    Ce qu’il raconte au ciel par le ciel répondu,
    Mon âme qu’on croyait indolente ou volage,
    L’a toujours entendu !
    Et quand là-bas, là-bas, comme on peint l’espérance,
    Dieu montrait l’arc-en-ciel aux pèlerins errants,
    S’il avait ruisselé sur ma vierge souffrance,
    La nuit se sillonnait de songes transparents ;
    Et sur l’onde qui glisse et plie, et s’abandonne,
    Quand j’avais amassé des parfums purs et frais,
    En voyant fuir mes fleurs que n’attendait personne,
    Je regardais ma mère et je les lui montrais.

    Et ma mère disait :  » C’est une maladie,
    Un mélange de jeux, de pleurs, de mélodie :
    C’est le coeur de mon coeur ! Oui, ma fille ! Plus tard,
    Vous trouverez l’amour et la vie… autre part. «

    Innocence ! Innocence ! éternité rêvée !
    Au bout des temps de pleurs serez-vous retrouvée ?
    êtes-vous ma maison que je ne peux rouvrir ?
    Ma mère ! Est-ce la mort ? … je voudrais bien mourir !

    Marceline Desbordes-Valmore

     

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  • KIT HIVER 18

    KIT HIVER 18

     Tristesse
    Si je pouvais trouver un éternel sourire,
    Voile innocent d’un coeur qui s’ouvre et se déchire,
    Je l’étendrais toujours sur mes pleurs mal cachés
    Et qui tombent souvent par leur poids épanchés.

    Renfermée à jamais dans mon âme abattue,
    Je dirais :  » Ce n’est rien  » à tout ce qui me tue ;
    Et mon front orageux, sans nuage et sans pli,
    Du calme enfant qui dort peindrait l’heureux oubli.

    Dieu n’a pas fait pour nous ce mensonge adorable,
    Le sourire défaille à la plaie incurable :
    Cette grâce mêlée à la coupe de fiel,
    Dieu mourant l’épuisa pour l’emporter au ciel.

    Adieu, sourire ! Adieu jusque dans l’autre vie,
    Si l’âme, du passé n’y peut être suivie !
    Mais si de la mémoire on ne doit pas guérir,
    À quoi sert, ô mon âme, à quoi sert de mourir ?

    Marceline Desbordes-Valmore, Poésies inédites

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