• KIT HIVER 19

     

    KIT HIVER 19

    Les fleurs reviendront

    Le printemps est loin, si loin
    Les champs sont roses sombres
    Dans le fil d’une pensée morbide fluide
    Le vieil homme crache, crapote
    Comme un cochon il se fera abattre
    Le lampadaire tremble dans la nuit effervescente
    Les gens crient que c’est la fin du monde
    Puis rient car tout n’est pas encore fini
    Les fleurs et les odeurs reviendront
    C’est sûr
    Et on y sera, ou pas

    Jules Delavigne, 2010

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    L’hiver qui vient

    Blocus sentimental ! Messageries du Levant !…
    Oh, tombée de la pluie ! Oh ! tombée de la nuit,
    Oh ! le vent !…
    La Toussaint, la Noël et la Nouvelle Année,
    Oh, dans les bruines, toutes mes cheminées !…
    D’usines….

    On ne peut plus s’asseoir, tous les bancs sont mouillés ;
    Crois-moi, c’est bien fini jusqu’à l’année prochaine,
    Tant les bancs sont mouillés, tant les bois sont rouillés,
    Et tant les cors ont fait ton ton, ont fait ton taine !…

    Ah, nuées accourues des côtes de la Manche,
    Vous nous avez gâté notre dernier dimanche.

    Il bruine ;
    Dans la forêt mouillée, les toiles d’araignées
    Ploient sous les gouttes d’eau, et c’est leur ruine.

    Soleils plénipotentiaires des travaux en blonds Pactoles
    Des spectacles agricoles,
    Où êtes-vous ensevelis ?
    Ce soir un soleil fichu gît au haut du coteau
    Gît sur le flanc, dans les genêts, sur son manteau,
    Un soleil blanc comme un crachat d’estaminet
    Sur une litière de jaunes genêts
    De jaunes genêts d’automne.
    Et les cors lui sonnent !
    Qu’il revienne….
    Qu’il revienne à lui !
    Taïaut ! Taïaut ! et hallali !
    Ô triste antienne, as-tu fini !…
    Et font les fous !…
    Et il gît là, comme une glande arrachée dans un cou,
    Et il frissonne, sans personne !…

    Allons, allons, et hallali !
    C’est l’Hiver bien connu qui s’amène ;
    Oh ! les tournants des grandes routes,
    Et sans petit Chaperon Rouge qui chemine !…
    Oh ! leurs ornières des chars de l’autre mois,
    Montant en don quichottesques rails
    Vers les patrouilles des nuées en déroute
    Que le vent malmène vers les transatlantiques bercails !…
    Accélérons, accélérons, c’est la saison bien connue, cette fois.

    Et le vent, cette nuit, il en a fait de belles !
    Ô dégâts, ô nids, ô modestes jardinets !
    Mon coeur et mon sommeil : ô échos des cognées !…

    Tous ces rameaux avaient encor leurs feuilles vertes,
    Les sous-bois ne sont plus qu’un fumier de feuilles mortes ;
    Feuilles, folioles, qu’un bon vent vous emporte
    Vers les étangs par ribambelles,
    Ou pour le feu du garde-chasse,
    Ou les sommiers des ambulances
    Pour les soldats loin de la France.

    C’est la saison, c’est la saison, la rouille envahit les masses,
    La rouille ronge en leurs spleens kilométriques
    Les fils télégraphiques des grandes routes où nul ne passe.

    Les cors, les cors, les cors – mélancoliques !…
    Mélancoliques !…
    S’en vont, changeant de ton,
    Changeant de ton et de musique,
    Ton ton, ton taine, ton ton !…
    Les cors, les cors, les cors !…
    S’en sont allés au vent du Nord.

    Je ne puis quitter ce ton : que d’échos !…
    C’est la saison, c’est la saison, adieu vendanges !…
    Voici venir les pluies d’une patience d’ange,
    Adieu vendanges, et adieu tous les paniers,
    Tous les paniers Watteau des bourrées sous les marronniers,
    C’est la toux dans les dortoirs du lycée qui rentre,
    C’est la tisane sans le foyer,
    La phtisie pulmonaire attristant le quartier,
    Et toute la misère des grands centres.

    Mais, lainages, caoutchoucs, pharmacie, rêve,
    Rideaux écartés du haut des balcons des grèves
    Devant l’océan de toitures des faubourgs,
    Lampes, estampes, thé, petits-fours,
    Serez-vous pas mes seules amours !…
    (Oh ! et puis, est-ce que tu connais, outre les pianos,
    Le sobre et vespéral mystère hebdomadaire
    Des statistiques sanitaires
    Dans les journaux ?)

    Non, non ! C’est la saison et la planète falote !
    Que l’autan, que l’autan
    Effiloche les savates que le Temps se tricote !
    C’est la saison, oh déchirements ! c’est la saison !
    Tous les ans, tous les ans,
    J’essaierai en choeur d’en donner la note.

    Jules Laforgue

     

     

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  • KIT HIVER 5

      KIT HIVER 5
    La neige

    La neige tombe, indiscontinûment,
    Comme une lente et longue et pauvre laine,
    Parmi la morne et longue et pauvre plaine,
    Froide d’amour, chaude de haine.

    La neige tombe, infiniment,
    Comme un moment –
    Monotone – dans un moment ;
    La neige choit, la neige tombe,
    Monotone, sur les maisons
    Et les granges et leurs cloisons ;
    La neige tombe et tombe
    Myriadaire, au cimetière, au creux des tombes.

    Le tablier des mauvaises saisons,
    Violemment, là-haut, est dénoué ;
    Le tablier des maux est secoué
    A coups de vent, sur les hameaux des horizons.

    Le gel descend, au fond des os,
    Et la misère, au fond des clos,
    La neige et la misère, au fond des âmes ;
    La neige lourde et diaphane,
    Au fond des âtres froids et des âmes sans flamme,
    Qui se fanent, dans les cabanes.

    Aux carrefours des chemins tors,
    Les villages sont seuls, comme la mort ;
    Les grands arbres, cristallisés de gel,
    Au long de leur cortège par la neige,
    Entrecroisent leurs branchages de sel.

    Les vieux moulins, où la mousse blanche s’agrège,
    Apparaissent, comme des pièges,
    Tout à coup droits, sur une butte ;
    En bas, les toits et les auvents
    Dans la bourrasque, à contre vent,
    Depuis Novembre, luttent ;
    Tandis qu’infiniment la neige lourde et pleine
    Choit, par la morne et longue et pauvre plaine.

    Ainsi s’en va la neige au loin,
    En chaque sente, en chaque coin,
    Toujours la neige et son suaire,
    La neige pâle et inféconde,
    En folles loques vagabondes,
    Par à travers l’hiver illimité monde.

    Emile Verhaeren

     

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