• L’hiver

    C’est l’hiver sans parfum ni chants.
    Dans le pré, les brins de verdure
    Percent de leurs jets fléchissants
    La neige étincelante et dure.

    Quelques buissons gardent encore
    Des feuilles jaunes et cassantes
    Que le vent âpre et rude mord
    Comme font les chèvres grimpantes.

    Et les arbres silencieux
    Que toute cette neige isole
    Ont cessé de se faire entre eux
    Leurs confidences bénévoles.

    – Bois feuillus qui, pendant l’été,
    Au chaud des feuilles cotonneuses
    Avez connu les voluptés
    Et les cris des huppes chanteuses,

    Vous qui, dans la douce saison,
    Respiriez la senteur des gommes,
    Vous frissonnez à l’horizon
    Avec des gestes qu’ont les hommes.

    Vous êtes las, vous êtes nus,
    Plus rien dans l’air ne vous protège,
    Et vos cœurs tendres ou chenus
    Se désespèrent sur la neige.

    – Et près de vous, frère orgueilleux,
    Le sapin où le soleil brille
    Balance les fruits écailleux
    Qui luisent entre ses aiguilles.

    Anna de Noailles, Le coeur innombrable



     

     

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  • L’hiver qui vient

    Blocus sentimental ! Messageries du Levant !…
    Oh, tombée de la pluie ! Oh ! tombée de la nuit,
    Oh ! le vent !…
    La Toussaint, la Noël et la Nouvelle Année,
    Oh, dans les bruines, toutes mes cheminées !…
    D’usines….

    On ne peut plus s’asseoir, tous les bancs sont mouillés ;
    Crois-moi, c’est bien fini jusqu’à l’année prochaine,
    Tant les bancs sont mouillés, tant les bois sont rouillés,
    Et tant les cors ont fait ton ton, ont fait ton taine !…

    Ah, nuées accourues des côtes de la Manche,
    Vous nous avez gâté notre dernier dimanche.

    Il bruine ;
    Dans la forêt mouillée, les toiles d’araignées
    Ploient sous les gouttes d’eau, et c’est leur ruine.

    Soleils plénipotentiaires des travaux en blonds Pactoles
    Des spectacles agricoles,
    Où êtes-vous ensevelis ?
    Ce soir un soleil fichu gît au haut du coteau
    Gît sur le flanc, dans les genêts, sur son manteau,
    Un soleil blanc comme un crachat d’estaminet
    Sur une litière de jaunes genêts
    De jaunes genêts d’automne.
    Et les cors lui sonnent !
    Qu’il revienne….
    Qu’il revienne à lui !
    Taïaut ! Taïaut ! et hallali !
    Ô triste antienne, as-tu fini !…
    Et font les fous !…
    Et il gît là, comme une glande arrachée dans un cou,
    Et il frissonne, sans personne !…

    Allons, allons, et hallali !
    C’est l’Hiver bien connu qui s’amène ;
    Oh ! les tournants des grandes routes,
    Et sans petit Chaperon Rouge qui chemine !…
    Oh ! leurs ornières des chars de l’autre mois,
    Montant en don quichottesques rails
    Vers les patrouilles des nuées en déroute
    Que le vent malmène vers les transatlantiques bercails !…
    Accélérons, accélérons, c’est la saison bien connue, cette fois.

    Et le vent, cette nuit, il en a fait de belles !
    Ô dégâts, ô nids, ô modestes jardinets !
    Mon coeur et mon sommeil : ô échos des cognées !…

    Tous ces rameaux avaient encor leurs feuilles vertes,
    Les sous-bois ne sont plus qu’un fumier de feuilles mortes ;
    Feuilles, folioles, qu’un bon vent vous emporte
    Vers les étangs par ribambelles,
    Ou pour le feu du garde-chasse,
    Ou les sommiers des ambulances
    Pour les soldats loin de la France.

    C’est la saison, c’est la saison, la rouille envahit les masses,
    La rouille ronge en leurs spleens kilométriques
    Les fils télégraphiques des grandes routes où nul ne passe.

    Les cors, les cors, les cors – mélancoliques !…
    Mélancoliques !…
    S’en vont, changeant de ton,
    Changeant de ton et de musique,
    Ton ton, ton taine, ton ton !…
    Les cors, les cors, les cors !…
    S’en sont allés au vent du Nord.

    Je ne puis quitter ce ton : que d’échos !…
    C’est la saison, c’est la saison, adieu vendanges !…
    Voici venir les pluies d’une patience d’ange,
    Adieu vendanges, et adieu tous les paniers,
    Tous les paniers Watteau des bourrées sous les marronniers,
    C’est la toux dans les dortoirs du lycée qui rentre,
    C’est la tisane sans le foyer,
    La phtisie pulmonaire attristant le quartier,
    Et toute la misère des grands centres.

    Mais, lainages, caoutchoucs, pharmacie, rêve,
    Rideaux écartés du haut des balcons des grèves
    Devant l’océan de toitures des faubourgs,
    Lampes, estampes, thé, petits-fours,
    Serez-vous pas mes seules amours !…
    (Oh ! et puis, est-ce que tu connais, outre les pianos,
    Le sobre et vespéral mystère hebdomadaire
    Des statistiques sanitaires
    Dans les journaux ?)

    Non, non ! C’est la saison et la planète falote !
    Que l’autan, que l’autan
    Effiloche les savates que le Temps se tricote !
    C’est la saison, oh déchirements ! c’est la saison !
    Tous les ans, tous les ans,
    J’essaierai en choeur d’en donner la note.

    Jules Laforgue

     

     

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  • KIT HIVER 13


    KIT HIVER 13

    Beau soir d’hiver

    La neige – le pays en est tout recouvert –
    Déroule, mer sans fin, sa nappe froide et vierge,
    Et, du fond des remous, à l’horizon désert,
    Par des vibrations d’azur tendre et d’or vert,
    Dans l’éblouissement, la pleine lune émerge.

    A l’Occident s’endort le radieux soleil,
    Dans l’espace allumant les derniers feux qu’il darde
    A travers les vapeurs de son divin sommeil,
    Et la lune tressaille à son baiser vermeil
    Et, la face rougie et ronde, le regarde.

    Et la neige scintille, et sa blancheur de lis
    Se teinte sous le flux enflammé qui l’arrose.
    L’ombre de ses replis a des pâleurs d’iris,
    Et, comme si neigeaient tous les avrils fleuris,
    Sourit la plaine immense ineffablement rose.

    Jules Breton
    Les champs et la mer, 1883

     

     

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