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Venise que j'aime
Jean Cocteau
Préface à " Venise que j'aime " - 1951
Où vit-on des danseurs au bout de feuilles mortes,
Tant de lions couchés devant le seuil des portes,
Tant d'aiguilles de bois, de dentelles de fer,
De dentelles de marbre et de chevaux en l'air ?
Où vit-on tant de fruits qu'on charge et qu'on décharge ?
Tant de Jésus marcher sur l'eau,
Tant de pigeons marchant de long en large
Avec habit à queue et les mains dans le dos ?
Où vit-on, d'un orteil, tenir sur une boule
Un homme armé d'un parchemin ?
Où vit-on labyrinthe encombré d'une foule
Qui jamais ne perd son chemin ?
Où vit-on flotter tant d'épluchures d'oranges,
Tant de ronds, de carrés, d'ovales, de losanges
Où vit-on des bustes charmants
Glisser, les bras tendus, sur le bord des terrasses ?
Où vit-on manger tant de glaces ?
Où vit-on des radeaux être de belles places ?
Où vit-on sur un pied dormir les monuments ?
Où vit-on un palais qui penche
Attendre quoi ? debout et le poing sur la hanche ?
Où vit-on sur lamer machiner un décor ?
Tant de filles en deuil et de dames blanches
Se mettre au carnaval une tête de mort ?
Où vit-on parcourir avec paniers et boîtes
Tant de porteurs légers qui n'ont que des mains droites ?
Où vit-on atteler des hippocampes d'or ?
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