• Mai

    Kit 14

    Kit 14


     Le Mai
     
    Le mai le joli mai en barque sur le Rhin.
    Des dames regardaient du haut de la montagne,
    Vous êtes si jolies mais la barque s'éloigne,
    Qui donc a fait pleurer les saules riverains,
     Or des vergers fleuris se figeaient en arrière,
    Les pétales tombés des cerisiers de mai,
    Sont les ongles de celle que j'ai tant aimée,
    Les pétales flétris sont comme ses paupières,
     Sur le chemin du bord du fleuve lentement.
    Un ours un singe un chien menés par des tziganes,
    Suivaient une roulotte traînée par un âne,
    Tandis que s'éloignait dans les vignes rhénanes,
    Sur un fifre lointain un air de régiment.
     Le mai le joli mai a paré les ruines,
    De lierre de vigne vierge et de rosiers,
    Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers,
    Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes.

    Kit 14

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  • PRINTEMPS 15

     PRINTEMPS 15


    En printemps …

    En printemps, quand le blond vitrier Ariel
    Nettoie à neuf la vitre éclatante du ciel,
    Quand aux carrefours noirs qu’éclairent les toilettes
    En monceaux odorants croulent les violettes
    Et le lilas tremblant, frileux encor d’hier,
    Toujours revient en moi le songe absurde et cher
    Que mes seize ans ravis aux candeurs des keepsakes
    Vivaient dans les grands murs blancs des bibliothèques
    Rêveurs à la fenêtre où passaient des oiseaux…
    Dans des pays d’argent, de cygnes, de roseaux
    Dont les noms avaient des syllabes d’émeraude,
    Au bord des étangs verts où la sylphide rôde,
    Parmi les donjons noirs et les châteaux hantés,
    Déchiquetant des ciels d’eau-forte tourmentés,
    Traînaient limpidement les robes des légendes.

    Ossian ! Walter Scott ! Ineffables guirlandes
    De vierges en bandeaux s’inclinant de profil.
    Ô l’ovale si pur d’alors, et le pistil
    Du col où s’éploraient les anglaises bouclées !
    Ô manches à gigot ! Longues mains fuselées
    Faites pour arpéger le coeur de Raphaël,
    Avec des yeux à l’ange et l’air  » Exil du ciel  » ,
    Ô les brunes de flamme et les blondes de miel !

    Mil-huit-cent-vingt… parfum des lyres surannées ;
    Dans vos fauteuils d’Utrecht bonnes vieilles fanées,
    Bonnes vieilles voguant sur  » le lac  » étoilé,
    Ô âmes soeurs de Lamartine inconsolé.
    Tel aussi j’ai vécu les sanglots de vos harpes
    Et vos beaux chevaliers ceints de blanches écharpes
    Et vos pâles amants mourant d’un seul baiser.
    L’idéal était roi sur un grand coeur brisé.

    C’était le temps du patchouli, des janissaires,
    D’Elvire, et des turbans, et des hardis corsaires.
    Byron disparaissait, somptueux et fatal.
    Et le cor dans les bois sonnait sentimental.

    Ô mon beau coeur vibrant et pur comme un cristal.

    Albert Samain, Le chariot d’or
      

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  • PRINTEMPS 2

      PRINTEMPS 2



    À Célimène

    Je ne vous aime pas, ô blonde Célimène,
    Et si vous l’avez cru quelque temps, apprenez
    Que nous ne sommes point de ces gens que l’on mène
    Avec une lisière et par le bout du nez ;
    Je ne vous aime pas… depuis une semaine,
    Et je ne sais pourquoi vous vous en étonnez.

    Je ne vous aime pas ; vous êtes trop coquette,
    Et vos moindres faveurs sont de mauvais aloi ;
    Par le droit des yeux noirs, par le droit de conquête,
    Il vous faut des amants. (On ne sait trop pourquoi.)
    Vous jouez du regard comme d’une raquette ;
    Vous en jouez, méchante… et jamais avec moi.

    Je ne vous aime pas, et vous aurez beau faire,
    Non, madame, jamais je ne vous aimerai.
    Vous me plaisez beaucoup ; certes, je vous préfère
    À Dorine, à Clarisse, à Lisette, c’est vrai.
    Pourtant l’amour n’a rien à voir dans cette affaire,
    Et quand il vous plaira, je vous le prouverai.

    J’aurais pu vous aimer ; mais, ne vous en déplaise,
    Chez moi le sentiment ne tient que par un fil…
    Avouons-le, pourtant, quelque chose me pèse :
    En ne vous aimant pas, comment donc se fait-il
    Que je sois aussi gauche, aussi mal à mon aise
    Quand vous me regardez de face ou de profil ?

    Je ne vous aime pas, je n’aime rien au monde ;
    Je suis de fer, je suis de roc, je suis d’airain.
    Shakespeare a dit de vous : « Perfide comme l’onde » ;
    Mais moi je n’ai pas peur, car j’ai le pied marin.
    Pourtant quand vous parlez, ô ma sirène blonde,
    Quand vous parlez, mon cœur bat comme un tambourin.

    Je ne vous aime pas, c’est dit, je vous déteste,
    Je vous crains comme on craint l’enfer, de peur du feu ;
    Comme on craint le typhus, le choléra, la peste,
    Je vous hais à la mort, madame ; mais, mon Dieu !
    Expliquez-moi pourquoi je pleure, quand je reste
    Deux jours sans vous parler et sans vous voir un peu.

    Alphonse Daudet, Les Amoureuses, 1858

     

     

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