•  KIT PRINTEMPS 1

     

    KIT PRINTEMPS 1

    A la mi-carême

    Le carnaval s’en va, les roses vont éclore ;
    Sur les flancs des coteaux déjà court le gazon.
    Cependant du plaisir la frileuse saison
    Sous ses grelots légers rit et voltige encore,
    Tandis que, soulevant les voiles de l’aurore,
    Le Printemps inquiet paraît à l’horizon.

    Du pauvre mois de mars il ne faut pas médire ;
    Bien que le laboureur le craigne justement,
    L’univers y renaît ; il est vrai que le vent,
    La pluie et le soleil s’y disputent l’empire.
    Qu’y faire ? Au temps des fleurs, le monde est un enfant ;
    C’est sa première larme et son premier sourire.

    C’est dans le mois de mars que tente de s’ouvrir
    L’anémone sauvage aux corolles tremblantes.
    Les femmes et les fleurs appellent le zéphyr ;
    Et du fond des boudoirs les belles indolentes,
    Balançant mollement leurs tailles nonchalantes,
    Sous les vieux marronniers commencent à venir.

    C’est alors que les bals, plus joyeux et plus rares,
    Prolongent plus longtemps leurs dernières fanfares ;
    À ce bruit qui nous quitte, on court avec ardeur ;
    La valseuse se livre avec plus de langueur :
    Les yeux sont plus hardis, les lèvres moins avares,
    La lassitude enivre, et l’amour vient au coeur.

    S’il est vrai qu’ici-bas l’adieu de ce qu’on aime
    Soit un si doux chagrin qu’on en voudrait mourir,
    C’est dans le mois de mars, c’est à la mi-carême,
    Qu’au sortir d’un souper un enfant du plaisir
    Sur la valse et l’amour devrait faire un poème,
    Et saluer gaiement ses dieux prêts à partir.

    Mais qui saura chanter tes pas pleins d’harmonie,
    Et tes secrets divins, du vulgaire ignorés,
    Belle Nymphe allemande aux brodequins dorés ?
    Ô Muse de la valse ! ô fleur de poésie !
    Où sont, de notre temps, les buveurs d’ambroisie
    Dignes de s’étourdir dans tes bras adorés ?

    Quand, sur le Cithéron, la Bacchanale antique
    Des filles de Cadmus dénouait les cheveux,
    On laissait la beauté danser devant les dieux ;
    Et si quelque profane, au son de la musique,
    S’élançait dans les choeurs, la prêtresse impudique
    De son thyrse de fer frappait l’audacieux.

    Il n’en est pas ainsi dans nos fêtes grossières ;
    Les vierges aujourd’hui se montrent moins sévères,
    Et se laissent toucher sans grâce et sans fierté.
    Nous ouvrons à qui veut nos quadrilles vulgaires ;
    Nous perdons le respect qu’on doit à la beauté,
    Et nos plaisirs bruyants font fuir la volupté.

    Tant que régna chez nous le menuet gothique,
    D’observer la mesure on se souvint encor.
    Nos pères la gardaient aux jours de thermidor,
    Lorsqu’au bruit des canons dansait la République,
    Lorsque la Tallien, soulevant sa tunique,
    Faisait de ses pieds nus claquer les anneaux d’or.

    Autres temps, autres moeurs ; le rythme et la cadence
    Ont suivi les hasards et la commune loi.
    Pendant que l’univers, ligué contre la France,
    S’épuisait de fatigue à lui donner un roi,
    La valse d’un coup d’aile a détrôné la danse.
    Si quelqu’un s’en est plaint, certes, ce n’est pas moi.

    Je voudrais seulement, puisqu’elle est notre hôtesse,
    Qu’on sût mieux honorer cette jeune déesse.
    Je voudrais qu’à sa voix on pût régler nos pas,
    Ne pas voir profaner une si douce ivresse,
    Froisser d’un si beau sein les contours délicats,
    Et le premier venu l’emporter dans ses bras.

    C’est notre barbarie et notre indifférence
    Qu’il nous faut accuser ; notre esprit inconstant
    Se prend de fantaisie et vit de changement ;
    Mais le désordre même a besoin d’élégance ;
    Et je voudrais du moins qu’une duchesse, en France,
    Sût valser aussi bien qu’un bouvier allemand.

    Alfred de Musset


     

     

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  • DIVERS 7


    DIVERS 7

    Juin

    Les prés ont une odeur d’herbe verte et mouillée,
    Un frais soleil pénètre en l’épaisseur des bois,
    Toute chose étincelle, et la jeune feuillée
    Et les nids palpitants s’éveillent à la fois.

    Les cours d’eau diligents aux pentes des collines
    Ruissellent, clairs et gais, sur la mousse et le thym ;
    Ils chantent au milieu des buissons d’aubépines
    Avec le vent rieur et l’oiseau du matin.

    Les gazons sont tout pleins de voix harmonieuses,
    L’aube fait un tapis de perles aux sentiers,
    Et l’abeille, quittant les prochaines yeuses,
    Suspend son aile d’or aux pâles églantiers.

    Sous les saules ployants la vache lente et belle
    Paît dans l’herbe abondante au bord des tièdes eaux ;
    La joug n’a point encor courbé son cou rebelle,
    Une rose vapeur emplit ses blonds naseaux.

    Et par delà le fleuve aux deux rives fleuries
    Qui vers l’horizon bleu coule à travers les prés,
    Le taureau mugissant, roi fougueux des prairies,
    Hume l’air qui l’enivre, et bat ses flancs pourprés.

    La Terre rit, confuse, à la vierge pareille
    Qui d’un premier baiser frémit languissamment,
    Et son oeil est humide et sa joue est vermeille,
    Et son âme a senti les lèvres de l’amant.

    O rougeur, volupté de la Terre ravie !
    Frissonnements des bois, souffles mystérieux !
    Parfumez bien le coeur qui va goûter la vie,
    Trempez-le dans la paix et la fraîcheur des cieux !

    Assez tôt, tout baignés de larmes printanières,
    Par essaims éperdus ses songes envolés
    Iront brûler leur aile aux ardentes lumières
    Des étés sans ombrage et des désirs troublés.

    Alors inclinez-lui vos coupes de rosée,
    O fleurs de son Printemps, Aube de ses beaux jours !
    Et verse un flot de pourpre en son âme épuisée,
    Soleil, divin Soleil de ses jeunes amours !

    Charles Leconte de Lisle

     

     

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  • Les Soleils de Mai

     

    Les Soleils de Mai

     Les Soleils de Mai

    D’un souffle virginal le plus aimé des mois
    Emplit l’air ; le lilas aux troncs moussus des bois
    Suspend sa grappe parfumée ;
    Les oiseaux sont joyeux et chantent le soleil ;
    Tout sourit ; du printemps, tout fête le réveil :
    Toi seule es triste, ô bien-aimée !

    « Pourquoi ces yeux rêveurs et ce regard penché ?
    De quel secret ennui ton cœur est-il touché ?
    Qu’as-tu ma grande et pâle Amie,
    Qu’as-tu ? Vois ce beau ciel sourire et resplendir !
    Oh ! souris-moi ! Je sens mon cœur s’épanouir
    Avec la terre épanouie.

    « Sur le cours bleu des eaux, au flanc noir de la tour,
    Regarde ! l’hirondelle est déjà de retour.
    Ailes et feuilles sont décloses.
    C’est la saison des fleurs, c’est la saison des vers.
    C’est le temps où dans l’âme et dans les rameaux verts
    Fleurissent l’amour et les roses.

    « Soyons jeunes ! fêtons le beau printemps vainqueur !
    Quand on est triste, Amie, il fait nuit dans le cœur ;
    La joie est le soleil de l’âme !
    Oublions ce que l’homme et la vie ont d’amer !
    Je veux aimer pour vivre et vivre pour aimer,
    Pour vous aimer, ma noble Dame !

    « Loin de nous les soucis, belle aux cheveux bruns !
    Enivrons-nous de brise, et d’air et de parfums,
    Enivrons-nous de jeunes sèves !
    Sur leurs tiges cueillons les promesses des fleurs !
    Assez tôt reviendront l’hiver et ses rigueurs
    Flétrir nos roses et nos rêves ! »

    Et, tandis qu’il parlait, muette à ses côtés,
    Marchait la grande Amie aux regards veloutés ;
    Son front baigné de rêverie
    S’éclairait à sa voix d’un doux rayonnement ;
    Et, lumière de l’âme, un sourire charmant
    Flottait sur sa lèvre fleurie.

    Auguste Lacaussade, Poèmes et Paysages, 1897

     

     

     

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