• Kit 18

    Kit 18

    Aube incertaine

    Comme les courtisans près d’un nouveau destin,
    Nous attendions ensemble un rayon de l’aurore.
    Les songes attardés se poursuivaient encore,
    Et tes yeux étaient bleus, — bleus comme le matin.

    Déjà je regrettais une douceur passée.
    Tes cheveux répandaient une odeur de sommeil.
    Dans la crainte de voir éclater le soleil,
    Notre nuit s’éloignait, souriante et lassée.

    Tel qu’un léger linceul de spectre, le brouillard
    Se drapait vaguement avant de disparaître,
    Et le ciel était plein d’un immense : Peut-être…
    L’aube était incertaine ainsi que ton regard.

    Tu semblais deviner mes extases troublées.
    Dans l’ombre, je croyais te voir enfin pâlir,
    Et j’espérais qu’enfin jaillirait le soupir
    De nos cœurs confondus, de nos âmes mêlées.

    Nos êtres défaillants frémissaient d’espoir : sourds.
    Nous rêvions longuement que c’était l’amour même,
    Son immortelle angoisse et son ardeur suprême…
    Et le jour s’est levé, comme les autres jours !

    Renée Vivien, Études et Préludes

     Sylvie Erwan 

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  • Kit 5

    Kit 5


    À une Femme

    Tendre à qui te lapide et mortelle à qui t’aime,
    Faisant de l’attitude un frisson de poème,
    O Femme dont la grâce enfantine et suprême
    Triomphe dans la fange et les pleurs et le sang,

    Tu n’aimes que la main qui meurtrit ta faiblesse,
    La parole qui trompe et le baiser qui blesse,
    L’antique préjugé qui meurt avec noblesse
    Et le désir d’un jour qui sourit en passant.

    Férocité passive, âme légère et douce,
    Pour t’attirer, il faut que le geste repousse :
    Ta chair inerte appelle, en râlant, la secousse
    Et l’effort sans beauté du mâle triomphant.

    Esclave du hasard, des choses et de l’heure,
    Être ondoyant, en qui rien de vrai ne demeure,
    Tu n’accueilles jamais la passion qui pleure
    Ni l’amour qui languit sous ton regard d’enfant.

    Le baume du banal et le fard du factice,
    L’absurdité des lois, la vanité du vice
    Et l’amant dont l’orgueil contente ton caprice,
    Suffisent à ton cœur sans rêve et sans espoir.

    Jamais tu ne t’éprends de la grâce d’un songe,
    D’un reflet dont le charme expirant se prolonge,
    D’un écho dans lequel le souvenir se plonge,
    Jamais tu ne pâlis à l’approche du soir.
    Renée Vivien, Cendres et Poussières, 1902

    Sylvie Erwan 

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  • Kit 17

    Kit 17


    Aux femmes

    S’il arrivait un jour, en quelque lieu sur terre,
    Qu’une entre vous vraiment comprît sa tâche austère,
    Si, dans le sentier rude avançant lentement,
    Cette âme s’arrêtait à quelque dévouement,
    Si c’était la Bonté sous les cieux descendue,
    Vers tous les malheureux la main toujours tendue,
    Si l’époux, si l’enfant à ce cœur ont puisé,
    Si l’espoir de plusieurs sur Elle est déposé,
    Femmes, enviez-la. Tandis que dans la foule
    Votre vie inutile en vains plaisirs s’écoule,
    Et que votre cœur flotte, au hasard entraîné,
    Elle a sa foi, son but et son labeur donné.
    Enviez-la. Qu’il souffre ou combatte, c’est Elle
    Que l’homme à son secours incessamment appelle,
    Sa joie et son appui, son trésor sous les cieux,
    Qu’il pressentait de l’âme et qu’il cherchait des yeux,
    La colombe au cou blanc qu’un vent du ciel ramène
    Vers cette arche en danger de la famille humaine,
    Qui, des saintes hauteurs en ce morne séjour,
    Pour branche d’olivier a rapporté l’amour.

    Et que votre cœur flotte, au hasard entraîné,
    Elle a sa foi, son but et son labeur donné.
    Enviez-la ! Qu’il souffre ou combatte, c’est Elle
    Que l’homme à son secours incessamment appelle,
    Sa joie et son espoir, son rayon sous les cieux,
    Qu’il pressentait de l’âme et qu’il cherchait des yeux,
    La colombe au cou blanc qu’un vent du ciel ramène
    Vers cette arche en danger de la famille humaine,
    Qui, des saintes hauteurs en ce morne séjour,
    Pour branche d’olivier a rapporté l’amour.

    Paris, 1835

    Louise Ackermann, Premières poésies, 1871

    Sylvie Erwan 

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