• Novembre

    Les grands-routes tracent des croix
    A l’infini, à travers bois ;
    Les grands-routes tracent des croix lointaines
    A l’infini, à travers plaines ;
    Les grands-routes tracent des croix
    Dans l’air livide et froid,
    Où voyagent les vents déchevelés
    A l’infini, par les allées.

    Arbres et vents pareils aux pèlerins,
    Arbres tristes et fous où l’orage s’accroche,
    Arbres pareils au défilé de tous les saints,
    Au défilé de tous les morts
    Au son des cloches,

    Arbres qui combattez au Nord
    Et vents qui déchirez le monde,
    Ô vos luttes et vos sanglots et vos remords
    Se débattant et s’engouffrant dans les âmes profondes !

    Voici novembre assis auprès de l’âtre,
    Avec ses maigres doigts chauffés au feu ;
    Oh ! tous ces morts là-bas, sans feu ni lieu,
    Oh ! tous ces vents cognant les murs opiniâtres
    Et repoussés et rejetés
    Vers l’inconnu, de tous côtés.

    Oh ! tous ces noms de saints semés en litanies,
    Tous ces arbres, là-bas,
    Ces vocables de saints dont la monotonie
    S’allonge infiniment dans la mémoire ;
    Oh ! tous ces bras invocatoires
    Tous ces rameaux éperdument tendus
    Vers on ne sait quel christ aux horizons pendu.

    Voici novembre en son manteau grisâtre
    Qui se blottit de peur au fond de l’âtre
    Et dont les yeux soudain regardent,
    Par les carreaux cassés de la croisée,
    Les vents et les arbres se convulser
    Dans l’étendue effarante et blafarde,

    Les saints, les morts, les arbres et le vent,
    Oh l’identique et affolant cortège
    Qui tourne et tourne, au long des soirs de neige ;
    Les saints, les morts, les arbres et le vent,
    Dites comme ils se confondent dans la mémoire
    Quand les marteaux battants
    A coups de bonds dans les bourdons,
    Écartèlent leur deuil aux horizons,
    Du haut des tours imprécatoires.

    Et novembre, près de l’âtre qui flambe,
    Allume, avec des mains d’espoir, la lampe
    Qui brûlera, combien de soirs, l’hiver ;
    Et novembre si humblement supplie et pleure
    Pour attendrir le cœur mécanique des heures !

    Mais au dehors, voici toujours le ciel, couleur de fer,
    Voici les vents, les saints, les morts
    Et la procession profonde
    Des arbres fous et des branchages tords
    Qui voyagent de l’un à l’autre bout du monde.
    Voici les grands-routes comme des croix
    A l’infini parmi les plaines
    Les grands-routes et puis leurs croix lointaines
    A l’infini, sur les vallons et dans les bois !

    Emile Verhaeren, Les vignes de ma muraille

     

     

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  • AUTOMNE 19

     

    AUTOMNE 19

    L’automne

    Salut ! bois couronnés d’un reste de verdure !
    Feuillages jaunissants sur les gazons épars !
    Salut, derniers beaux jours ! Le deuil de la nature
    Convient à la douleur et plaît à mes regards !

    Je suis d’un pas rêveur le sentier solitaire,
    J’aime à revoir encor, pour la dernière fois,
    Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière
    Perce à peine à mes pieds l’obscurité des bois !

    Oui, dans ces jours d’automne où la nature expire,
    A ses regards voilés, je trouve plus d’attraits,
    C’est l’adieu d’un ami, c’est le dernier sourire
    Des lèvres que la mort va fermer pour jamais !

    Ainsi, prêt à quitter l’horizon de la vie,
    Pleurant de mes longs jours l’espoir évanoui,
    Je me retourne encore, et d’un regard d’envie
    Je contemple ses biens dont je n’ai pas joui !

    Terre, soleil, vallons, belle et douce nature,
    Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau ;
    L’air est si parfumé ! la lumière est si pure !
    Aux regards d’un mourant le soleil est si beau !

    Je voudrais maintenant vider jusqu’à la lie
    Ce calice mêlé de nectar et de fiel !
    Au fond de cette coupe où je buvais la vie,
    Peut-être restait-il une goutte de miel ?

    Peut-être l’avenir me gardait-il encore
    Un retour de bonheur dont l’espoir est perdu ?
    Peut-être dans la foule, une âme que j’ignore
    Aurait compris mon âme, et m’aurait répondu ? …

    La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphire ;
    A la vie, au soleil, ce sont là ses adieux ;
    Moi, je meurs; et mon âme, au moment qu’elle expire,
    S’exhale comme un son triste et mélodieux.

    Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques

     

     

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  • Fuite d’automne

    Sors de ta chrysalide, ô mon âme, voici
    L’Automne. Un long baiser du soleil a roussi
    Les étangs ; les lointains sont vermeils de feuillage,
    Le flexible arc-en-ciel a retenu l’orage
    Sur sa voûte où se fond la clarté d’un vitrail ;
    La brume des terrains rôde autour du bétail
    Et parfois le soleil que le brouillard efface
    Est rond comme la lune aux marges de l’espace.
    Mon âme, sors de l’ombre épaisse de ta chair
    C’est le temps dans les prés où le silence est clair,
    Où le vent, suspendant son aile de froidure,
    Berce dans les rameaux un rêve d’aventure
    Et fait choir en jouant avec ses doigts bourrus
    La feuille jaune autour des peupliers pointus.
    La libellule vole avec un cri d’automne
    Dans ses réseaux cassants ; la brebis monotone
    A l’enrouement fêlé des branches dans la voix ;
    La lumière en faisceaux bruine sur les bois.
    Mon âme en robe d’or faite de feuilles mortes
    Se donne au tourbillon que la rafale apporte
    Et chavire au soleil sur la pointe du pied
    Plus vive qu’en avril le sauvage églantier ;
    Cependant que de loin elle voit sur la porte,
    Écoutant jusqu’au seuil rouler des feuilles mortes,
    Mon pauvre corps courbé dans son châle d’hiver.
    Et mon âme se sent étrangère à ma chair.
    Pourtant, docilement, lorsque les vitres closes
    Refléteront au soir la fleur des lampes roses,
    Elle regagnera le masque familier,
    Et, servante modeste avec un tablier,
    Elle trottinera dans les chambres amères
    En retenant des mains le sanglot des chimères.

    Cécile Sauvage

     

     

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