• Fantaisies d’hiver

    KIT HIVER 9

    KIT HIVER 9

    Fantaisies d’hiver

    Le nez rouge, la face blême,
    Sur un pupitre de glaçons,
    L’Hiver exécute son thème
    Dans le quatuor des saisons.

    Il chante d’une voix peu sûre
    Des airs vieillots et chevrotants ;
    Son pied glacé bat la mesure
    Et la semelle en même temps ;

    Et comme Haendel, dont la perruque
    Perdait sa farine en tremblant,
    Il fait envoler de sa nuque
    La neige qui la poudre à blanc.

    Dans le bassin des Tuileries,
    Le cygne s’est pris en nageant,
    Et les arbres, comme aux féeries,
    Sont en filigrane d’argent.

    Les vases ont des fleurs de givre,
    Sous la charmille aux blancs réseaux ;
    Et sur la neige on voit se suivre
    Les pas étoilés des oiseaux.

    Au piédestal où, court-vêtue,
    Vénus coudoyait Phocion,
    L’Hiver a posé pour statue
    La Frileuse de Clodion.

    Les femmes passent sous les arbres
    En martre, hermine et menu-vair,
    Et les déesses, frileux marbres,
    Ont pris aussi l’habit d’hiver.

    La Vénus Anadyomène
    Est en pelisse à capuchon ;
    Flore, que la brise malmène,
    Plonge ses mains dans son manchon.

    Et pour la saison, les bergères
    De Coysevox et de Coustou,
    Trouvant leurs écharpes légères,
    Ont des boas autour du cou.

    Sur la mode Parisienne
    Le Nord pose ses manteaux lourds,
    Comme sur une Athénienne
    Un Scythe étendrait sa peau d’ours.

    Partout se mélange aux parures
    Dont Palmyre habille l’Hiver,
    Le faste russe des fourrures
    Que parfume le vétyver.

    Et le Plaisir rit dans l’alcôve
    Quand, au milieu des Amours nus,
    Des poils roux d’une bête fauve
    Sort le torse blanc de Vénus.

    Sous le voile qui vous protège,
    Défiant les regards jaloux,
    Si vous sortez par cette neige,
    Redoutez vos pieds andalous ;

    La neige saisit comme un moule
    L’empreinte de ce pied mignon
    Qui, sur le tapis blanc qu’il foule,
    Signe, à chaque pas, votre nom.

    Ainsi guidé, l’époux morose
    Peut parvenir au nid caché
    Où, de froid la joue encor rose,
    A l’Amour s’enlace Psyché.

    Théophile Gautier, Emaux et camées

     

     

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